Philippe Coudray
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Interview de Philippe Coudray
par une étudiante en art et commerce (2006)


Femme a la jupe rouge
 

Femme à la jupe rouge
huile sur toile de Philippe Coudray
46 x 38 cm - 2004

Bonjour,

Je viens vers vous aujourd’hui, car j’ai besoin de vous poser des questions en tant qu’artiste. Je m’explique.

Après 3 années aux Beaux Arts de Toulouse et 2 années à l’école supérieure de commerce de Marseille, je prépare actuellement mon mémoire de fin d’étude sur une problématique qui me préoccupe depuis plusieurs années et qui explique justement mon parcours assez surprenant. Mon sujet traite du rapport entre art/travail, indépendance de la créativité artistique/rentabilité économique. Se demander tout simplement si c’est encore moral d’être un artiste dans notre société contemporaine ?

Il s’adresse à toutes les formes d’art, donc à toutes les personnes qui participent à cette création. Que vous soyez artiste indépendant, créatif dans un organisme,… je vous demande votre avis sur le sujet par le biais de ce questionnaire qui va devenir un appui essentiel pour continuer mes recherches.

Répondez spontanément aux questions qui vous inspirent. Sentez vous libre ! Des mots, des phrases, des idées, des interrogations, etc.

1. Quelle est votre profession ?

Dessinateur-scénariste de bandes dessinées, illustrateur et peintre.

2. Qu’est ce qu’un artiste pour vous dans la société d’aujourd’hui? Quel est son rôle ?

Pour moi, le rôle d’un artiste est le même dans n’importe quelle société. Son rôle ne dépend pas du contexte. La mission d’un artiste n’est pas inscrite dans l’histoire, elle est hors du temps. Son rôle est d’élever les esprits, le sien en même temps que ceux à qui il s’adresse. Toutefois ce rôle d’artiste au service de l’art n’est reconnu socialement que depuis peu, autrefois l’artiste était considéré comme un artisan au service de la religion ou du pouvoir.

3. L’activité artistique peut-elle être, à vos yeux, considérée comme un travail ?

C’est un travail dans le sens social du terme, dans la mesure où il peut être rémunéré, qu’il répond à une demande, et qu’il est reconnu par la société comme tel. C’est également un travail dans le sens personnel du terme dans la mesure où il y a progression.

4. N’est ce pas mettre en danger son art et sa créativité que de l’utiliser à des fins utilitaires ?

Tout dépend ce que l’on appelle utilitaire. Si l’art est au service de la publicité, oui. S’il est au service du livre éducatif par exemple, je pense qu’on peut arriver à concilier pédagogie et art. Dans les domaines que sont la décoration, le design, l’architecture, la vaisselle, l’ameublement... la créativité, même contrainte par des impératifs matériels, peut sortir intacte. Tant que les contraintes ne sont pas d’ordre purement commercial, c'est-à-dire démagogique, s’il ne s’agit que de contraintes pratiques, cela ne met pas, à mon avis, en danger la créativité.

5. Pensez vous que l’on puisse concilier indépendance de la création artistique et viabilité économique ?

Il y a bien sûr un danger qui est celui de créer des œuvres purement commerciales. Je pense que concilier les deux est un pari à long terme. Les œuvres non-commerciales peuvent se vendre plus tard grâce à la reconnaissance historique. Le recul historique a meilleur goût que le goût immédiat du public.
Un artiste voulant concilier création artistique et viabilité économique doit être patient, supporter de faibles revenus, et vivre longtemps.

6. Pensez vous que l’art est moral dans un monde capitaliste régit par le profit et la rentabilité ?

C’est le monde capitaliste qui est immoral ! L’activité artistique est un acte de grande moralité puisqu’il s’agit d’élever les esprits. Le but d’une société n’est-elle pas d’être au service de l’homme, donc de l’esprit ? L ‘économie n’est qu’un moyen pour y parvenir. Faire de l’économie un but, c’est écraser tout le reste. On constate que le principe économique d’aujourd’hui est particulièrement destructeur. Il détruit tout : nature, architecture, et culture ! On fait de l’économie une valeur donc on oublie l’unique valeur : nous-même.
A ce propos, je citerai une idée présente dans un texte de mon frère Jean-Luc Coudray, qui explique que l’artiste est le seul qui fournit une vraie “plus-value” aujourd’hui, pour reprendre un terme cher à l’économie. En effet les plus-value fournies par la machine industrielle engendre une “moins-value” par ailleurs : épuisement des ressources, destruction des milieux, etc. L’artiste, lui, produit une plus-value à partir de rien. C’est le miracle de l’esprit.

7. Est-ce que l’artiste d’aujourd’hui n’est-il pas devenu un simple fournisseur de bien ? Peut-on alors parler de consommation artistique ?

Il y a contradiction entre un bien pour l’esprit et ce qui peut se vendre. Je crois que la nuance réside entre ces deux notions : le plaisir et la joie. Le plaisir peur s’acheter. Si l’artiste ne propose que du plaisir, il est un fournisseur de bien. Celui qui paye est sûr d’obtenir sa dose de plaisir. Si l’artiste propose quelque chose de plus total que le plaisir, l’acheteur n’est pas sûr d’y accéder. C’est là qu’on quitte la notion de consommation.

8. Si vous travaillez dans un organisme en tant que créatif, vous considérez vous comme un artiste ? Et que pensez vous des droits d’auteur pour rémunérer l’ en art et commerceidée créative » ?

Tout dépend de quel organisme il s’agit. Si on travaille dans la décoration, le design, l’architecture, on peut se considérer comme un artiste. Si on travaille dans la publicité, cela dépend des cas. Le principe du droit d’auteur reste valable dès qu’il y a création de l’esprit.

9. Pensez vous que la création artistique soit devenue un marché comme un autre ? 

Les marchands aimeraient que ce soit un marché comme un autre. Ils aimeraient pouvoir se passer des artistes, une fois l’œuvre créée, la déformer, l’adapter, l’édulcorer, la vendre comme ils veulent. C’est la position des américains. En France nous avons une autre vision des artistes : ils conservent indéfiniment leur droit moral, c’est-à-dire qu’ils ont toujours leur mot à dire sur la manière dont leur œuvre peut être présentée, vendue, adaptée. Ils restent propriétaires de l’œuvre et ne vendent que des droits d’exploitation. La vision du droit d’auteur français gagne dans le monde. A ma connaissance, elle a été adoptée non seulement par tous les pays d’Europe mais également par la Chine et la Russie. D’ailleurs, récemment, L'Unesco a adopté à une écrasante majorité (sauf les États-Unis et pays affiliés à eux) une Convention sur la diversité culturelle qui affranchit la culture des règles du commerce international. Cela est encourageant.
La création artistique ne peut pas être un marché comme un autre parce que son but ne peut pas être réduit à celui d’un simple marché : uniquement gagner de l’argent.

10. Différenciez vous les artistes qui travaillent au sein d’industries créatrices (design, graphisme, mode…) des autres plus indépendants ?

C’est difficile d’établir des règles dans ce domaine. Il peut y avoir des œuvres géniales dans le design, le graphisme, l’architecture, la mode ou autres formes d’art appliqué, et des œuvres médiocres dans le domaine dit indépendant. Finalement, c’est la qualité du travail et de l’engagement qui définit celle de l’artiste.

11. En tant qu’artiste, vivez vous de votre art ? Depuis longtemps ?

Cela fait une vingtaine d’année que je vis petitement de mon art. Cela fut plus “rentable” dans les années 90, depuis quelques années cela redevient difficile, pour tous les artistes d’ailleurs. Les chiffres de La Maison des Artistes (organisme de sécurité sociale des graphistes, peintres etc.) montrent que les revenus des artistes en général on beaucoup baissé ces dernières années. Il y a plusieurs raisons à cela. La première est peut-être la multiplication des artistes eux-mêmes, des livres, des bandes dessinées... Il y a surproduction. Il y a la dégradation générale du monde du travail, la précarité de beaucoup d’entreprises (revues, éditeurs, galeries) qui disparaissent trop rapidement, et peut-être un état d’esprit qui change, qui veut moins payer les artistes...

12. Pensez vous à des personnes, lectures, artistes, expos, films… qui pourraient m’éclairer ? Et que pensez vous de ces questions et de ce sujet finalement ?

Je pense que ce sujet reflète le questionnement de beaucoup de jeunes artistes sur leur place et leur rôle dans la société actuelle qui n’a plus qu’une seule valeur, l’argent, c’est-à-dire en gros les intérêts égoïstes à court terme, et qui méprise tout ce qui est beau dans la mesure où ça ne se vend pas assez vite.

A mon avis, il ne faut pas se laisser impressionner par l’actualité et la société actuelle en perpétuel changement. Précisément parce qu’elle change, cette société n’est rien. Ce qui existe vraiment ne change pas : l’être humain. Il est le même aujourd’hui qu’il y a 25 000 ans, et les questions fondamentales n’ont pas été et ne seront jamais résolues par la science, à savoir le mystère de l’existence et plus précisément le mystère de l’esprit. L’art est là pour exprimer, exacerber, identifier le mystère de l’esprit. La résolution de ce mystère, si elle est possible, ne peut être qu’affaire personnelle, et ne peut être transmise sous forme d’information.
En clair, malgré ses réussites spectaculaires, la science et la technique n’abordent que des objets mesurables, qui entrent dans le domaine de la pensée linéaire, informative, cumulative. Le mystère de l’esprit ne peut être abordé que d’une manière globale, immédiate. L’art est l’un des moyens d’aborder ce mystère, de le pénétrer et de transmettre aux autres le résultat, toujours fugitif, de ses recherches. Cette activité ne peut être qu’éternelle car non cumulative.

De fait, l’histoire de l’art n’est que l’histoire des formes d’art, non des contenus. Les formes artistiques peuvent être influencées par les sociétés qu’elles traversent, mais le contenu est au-delà. Les peintures des grottes de Lascaux sont aussi “bonnes“ artistiquement que les meilleures œuvres actuelles. Il n’y a pas d’évolution dans ce domaine, même si les formes d’expression se sont considérablement libérées.